jeudi 1 décembre 2011

Idéologie de la dangerosité de la femme : 4 - la barbare

cruelle, inhumaine, sans coeur.

Tout le monde a déjà vu quelque part Salomé avec la tête de saint Jean-Baptiste.
http://www.blastmilk.com/decollete/gallery/cranach/salome-cranach02.jpg
Cranach : Salomé et la tête de saint Jean-Baptise apportée comme un plat que l'on sert à table (Hérode semble refuser de manger de ce plat-là).

Selon la Bible : Salomé danse devant son beau-père Hérode. Celui-ci est tellement charmé qu'il dit à Salomé lui accorder ce qu'elle veut. Sur le conseil de sa mère, elle réclame alors rien moins que la tête de saint Jean-Baptiste.
Donc voilà une jeune fille qui, si on lui demande ce qui lui ferait le plus plaisir, pense à faire décapiter un homme pour recevoir sa tête sur un plateau. Ou si elle sèche parce que, bien entendu, c'est dur d'avoir un désir personnel, elle demande à môman. Puis sans le plus petit esprit critique se laisse dicter par elle des désirs épouvantablement sanglants. Une mère barbare par malignité et une fille barbare par bêtise.
eh mais demander la tête d'un saint, c'est cool quand on aime le gore !
Extrêmement vraisemblable, tout ça !

Evangile selon saint Marc :
Car Hérode lui-même avait fait arrêter Jean, et l’avait fait lier en prison, à cause d’Hérodias, femme de Philippe, son frère, parce qu’il l’avait épousée, et que Jean lui disait : « Il ne t’est pas permis d’avoir la femme de ton frère. » Hérodias était irritée contre Jean, et voulait le faire mourir. [...] Un jour propice arriva, lorsque Hérode, à l’anniversaire de sa naissance, donna un festin à ses grands, aux chefs militaires et aux principaux de la Galilée. La fille d’Hérodias entra dans la salle ; elle dansa, et plut à Hérode et à ses convives. Le roi dit à la jeune fille : « Demande-moi ce que tu voudras, et je te le donnerai. » Il ajouta avec serment : « Ce que tu me demanderas, je te le donnerai, fût-ce la moitié de mon royaume. » Étant sortie, elle dit à sa mère : « Que demanderai-je ? » Et sa mère répondit : « La tête de Jean-Baptiste. » Elle s’empressa de rentrer aussitôt vers le roi, et lui fit cette demande : « Je veux que tu me donnes à l’instant, sur un plat, la tête de Jean-Baptiste. » Le roi [...] envoya sur-le-champ un garde, avec ordre d’apporter la tête de Jean-Baptiste. Le garde alla décapiter Jean dans la prison, et apporta la tête sur un plat. Il la donna à la jeune fille, et la jeune fille la donna à sa mère.

Certaines sources disent que le mythe de Salomé pourrait être l'oeuvre des Pères et des Docteurs de l'Eglise (vers le IVe/Ve siècle) qui mettaient ainsi en garde les croyants contre les effets pervers de la danse et de la séduction féminine. Salomé devaient, à leurs yeux, apparaître impudique, cruelle et lascive. Saint Ambroise, l'un des grands moralistes chrétiens du IVème siècle, précisera que la danse dévoilait "les parties de son corps que les moeurs apprennent à cacher".

Comme je le rapportai précédemment dans un commentaire : la Bible est le "Mein Kampf" de la gynéphobie.
File:Titian-salome.jpg
La même scène version Titien.

Cependant on peut avoir une toute autre lecture de cette histoire si on imagine le genre de détails qui pourraient avoir sciemment été escamotés et sans lesquels l'histoire manque finalement et de vraisemblance et de cohérence : imaginons-en plutôt une autre, un peu plus réaliste : la jeune Salomé danse et cette vue inspire à son beau-père un peu imbibé de vin des idées carrément salaces. Il jure alors de lui accorder tout ce qu'elle voudra en échange de quelque chose de plus consistant qu'une danse (comme dans Peau d'Âne). Salomé pour qui Hérode est une sorte de père (c'est son beau-père, rappelons-le) est choquée. Elle se dit : je vais lui demander quelque chose qu'il ne m'accordera jamais, ainsi je ne serais pas obligée de céder à ce vieux dégoûtant. C'est comme cela qu'après avoir (si on y tient) obtenu un conseil avisé de sa mère, Salomé demande à Hérode la tête de celui qu'il a emprisonné certes mais qu'il vénère comme un saint : Jean-Baptiste, le baptiseur de Jésus. Mais Hérode n'est plus à cela près, il veut goûter à la femme de son fils et ferait n'importe quoi même d'atroce pour une partie de jambes en l'air avec une fille qui pourrait être la sienne. Cette histoire a un autre visage, du coup, non ? Qui est barbare maintenant ?

14 commentaires:

  1. A lire ta dernière série d'aventures, tu es en pleine forme, Euterpe.
    Désolée de commenter si peu, mais je suis fort occupée ailleurs pour l'instant, et puis ce n'est pas toujours si facile de commenter ta verve pamphlétaire en quelques mots, il me faudrait plus de temps disponible.

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  2. wouaou Euterpe...super bien vue :)
    voui cette série est top !
    la barbare donc....mais oui mais oui, m'étonnerais pas que ta proposition soit la bonne : le crétin qui juste à voulu sortir sa queue quitte à trancher la tête de son pote. Il y a beaucoup trop de zhommes qui ont le cerveau en forme de gland....donc; bah oui. Et ensuite ils accusent les femmes, bien entendu, alors qu'ils ont tous les pouvoirs. Et comme justment ils ont tous les pouvoir faut bien trouver une excuse à leurs conneries : les femmes barbares, tentatrices, etc...

    tient...et la Cupide ?? Comme Nafissatou Diallo ! tu sais, celle qui veut bouffer le pognon des zhommes puissant et innocent ?

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  3. A Tania : c'est un peu le retour à l'envoyeur que je souhaitais depuis longtemps effectuer. L'histoire de Salomé m'a été contée devant le retable d'Issenheim lorsque j'avais 7 ans. Elle m'a excessivement choquée et perturbée. Rien n'est enfoui définitivement dans la conscience d'un être humain. Et plus le temps passe plus ces choses ressortent.

    A gloup : on pourrait mettre Nafissatou Diallo en parallèle avec à peu près toutes les femmes de la Bible. D'ailleurs pour la suivante (je ne dis pas encore qui c'est), comme on a justement eu droit à une comparaison officielle de l'un des nombreux amis PS (pas intéressés du tout, lui) de DSK, je la mets en lien.
    Plus on regarde en détail les descriptions qui sont faites des femmes dans la Bible, plus on réalise qu'elles jouent essentiellement un rôle destinée à les rendre effrayantes aux yeux des hommes. Mais ce n'est finalement pas étonnant quand on sait que les ecclésiastiques ont le devoir de chasteté absolue à vie. Il faut bien une propagande anti-femme pour les dissuader de s'en approcher !

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  4. http://www.monde-diplomatique.fr/2011/12/OUALALOU/47027

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  5. @Euterpe

    il y a très certainement d'autres explications à la vindicte des hommes envers les femmes ce devoir de chasteté absolue des ecclésiastiques bien que ce soit très certainement une des réponses à envisager. Mais pour moi l'oppression des femmes par les hommes préexiste avant le texte de la bible.

    la Bible comme tu le dit est le "Mein Kampf" de la gynéphobie. Et j'approuve tout à fait. Mais le racisme et la haine préexistait à l'odieux texte d'Hitler. Et pour moi la Bible ne fait que consigner ce qui était déjà là : la haine sociale des hommes envers les femmes. Et ça démarre très très tôt. Voir par exemple les livres de Maurice Godelier, anthropologue, dans lesquels il décrit dans les sociétés dites primitives comment les mécanismes sociaux de domination installent violemment l'imposture du patriarcat.

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  6. A jfsady47 : merci pour le lien. Dommage que ce ne soit qu'en Amérique latine !

    A gloup : oui, je pense comme toi que cette haine est antérieure à la Bible. L'explication que je trouve c'est la haine contre les groupes humains mis en état de faiblesse. Hitler massacrait les groupes humains déjà persécutés. C'est sur les groupes infériorisés que s'exercent les haines les plus destructrices.
    Les femmes sont fragilisées aux périodes de grossesse et de maternité quand l'enfant est encore à l'état de nourrisson. Avec la sédentarisation et l'apparition de colonies humaines organisées en villages, quand les femmes ont du rester dans les huttes pour accoucher, se reposer, allaiter, on a du ensuite les y maintenir plus ou moins de force. Les hommes ont décidé un jour de ne plus partager leur liberté avec elles. Une fois la femme devenue sujette de l'homme, la haine s'est développée. On hait toujours les êtres trop dépendants, trop inférieurs même s'ils sont devenues dépendants et ont été infériorisés artificiellement. Sauf les enfants, en principe. Encore qu'eux aussi sont parfois des objets de haine. Il y a une sorte d'inversion perverse de l'idée de l'autre qui se fait. On prête aux "faibles" (mis en position de faiblesse) des pouvoirs qu'ils n'ont pas ou une agressivité qu'ils n'éprouvent pas. C'est une pure projection. Dans la Bible on a l'illustration caricaturale de cette projection.
    C'est pourquoi il faut recommencer à partager la liberté, partager toutes les fonctions de la société. Pour sortir de la haine. Cette haine qui, on le voit avec DSK se traduit en exploitation sexuelle des femmes avec plaisir sadique à la clé.

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  7. Intéressante, ta relecture des textes avec de nouvelles lunettes ! Et assez plausible, en plus.

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  8. Super intéressant cette relecture, merci !

    Comptes-tu faire aussi une série sur les figures féminines positives de la Bible ? Les personnages d'Esther et Judith sont très beaux, je trouve.

    Sur le dernier commentaire : les enfants aussi sont l'objet de hargne voire de haine : il suffit de voir les nouvelles pubs de la RATP dans le bus, "avec les poussettes faut pas pousser", genre casse-toi avec ta poussette tu nous saoules à prendre de la place pour ta demi-portion. Je ne compte même plus les sales regards ou réflexions quand j'ai eu le malheur de devoir prendre le métro avec des jeunes enfants (mes neveux)...

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  9. Ces tableaux je les ai vus j'avais à peine 20 ans , je les avais oubliés .Celui de Titien m'avait profondément choqué car je n'imaginais pas qu'une jeune fille , une femme avec un visage d'ange puisse porter tranquillement sur un plat la tête d'un homme !
    Et je me suis toujours dit que ce peintre officiel de la république de Venise , même s'il avait un bon coup de pinceau , devait être un fieffé sadique car il devait bien y avoir une raison là-dessous . Je la découvre aujourd'hui , merci beaucoup de ce nouvel éclairage !
    Quant au tableau de Cranach avez-vous remarqué qu'il n'y a aucun regard portant sur Salomé mais tous sans exception convergent vers le roi , sauf en arrière plan où le "spectacle" indiffère ! La femme est niée , seul compte le désir (ou non) du roi ! Ca n'a donc pas changé !

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  10. A Hypathie : rien qu'à lire le texte de l'évangéliste Marc, on se dit euh...elle lui plaît et il lui dit qu'elle peut avoir tout ce qu'elle veut : la moitié de son royaume, même.Avec comme contrepartie le seul plaisir de l'avoir vue une fois danser ? N'est-ce pas un peu disproportionné ? Donc il y avait anguille sous roche.

    A Artémise : j'ai déjà parlé de Judith et de Yael, il me manque Esther, en effet.
    Oui c'est aberrant ces campagnes anti-enfants ! Je suis indignée autant que toi.

    A coup de grisou : moi aussi j'ai trouvé cela hyper choquant mais sur le tableau du Titien, elle a l'air plutôt désolée de ce "cadeau". Ce tableau semblait correspondre à ma théorie tandis que celui de Cranach à celle de la barbarie présumée de l'ange en question.
    Effectivement sur la question des regards c'est bien observé. Et Hérode a une gestique d'irresponsable.

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  11. "Elle se dit : je vais lui demander quelque chose qu'il ne m'accordera jamais, ainsi je ne serais pas obligée de céder à ce vieux dégoûtant. "

    Ma foi, du plus loin que je me souvienne avoir rencontré cette.. histoire, je l'ai toujours interprétée comma ça, c'est tellement logique...mais ça fait de la mère une manipulatrice de sa fille, tout de même.
    (nb je commence à transformer mon pseudo, pas d'affolement :-) )

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  12. A mebahelihah : (tu nous diras pourquoi ce nouveau pseudo ? Ou plutôt ce qu'il signifie ?). Cette interprétation semble d'autant plus logique qu'il est dit au début "Jean (Baptiste) lui disait : « Il ne t’est pas permis d’avoir la femme de ton frère. »" Cela veut donc dire qu'Hérode en avait déjà après la femme de son frère et qu'il trouvait horripilant qu'on lui interdise de toucher aux femmes de ses proches. Cette fois c'était la femme de son fils.
    Encore pire donc.

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  13. Voilà, c'est bien ça.C'était DSK.Ha oups pardon, j'ai dit le mot interdit :-)

    mebahel c'est bientôt fini, elihah le remplace sous peu, que cacun-e y voie qu'ille veut :-)

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  14. mebahelihah tu me fais trop rire :D oui en fait, quel est l'andouille qui compare DSK à Joseph et la femme de Putiphar ? Tu l'as très bien démasqué : DSK c'est Hérode dans toute sa splendeur, bien évidemment !

    elihah ca sonne hébreu. On te verrait bien dans la Bible avec un nom pareil ! :))

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